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Homo Oeconomicus, Homo Donator?
Différences Individuelles dans les Conduites Pro-Sociales

 

 

Introduction

 

 

La réflexion relative à la rationalité des agents en tant qu’axiomatique principale mais controversée de la pensée économique dominante n’est pas nouvelle (DEMEULENAERE, 1996). Si une littérature très dense gravite autour de la question de l’homo oeconomicus - cet individu théorique supposé traduire les comportements individuels - en faire la synthèse n’a guère de sens, car, aussi pertinente soit-elle, elle n’est pas conclusive (BRIDEL, 2000). En effet, si l’immense majorité des articles et des ouvrages s’évertuent à décrier le modèle, aucun ne s’aventure à proposer une alternative crédible au paradigme économique classique.

 

Cet état de fait témoigne de deux choses : d’une part, de l’incroyable lassitude des chercheurs face à un modèle explicatif qu’ils jugent désuet, et, d’autre part, de la grande difficulté que ces derniers observent à structurer leurs critiques pour faire émerger un paradigme explicatif robuste et pertinent.

 

A partir du 18ème siècle, l’idée selon laquelle l’univers serait régit par des lois de nature divine semble peu à peu s’effacer à l’aune des progrès de la science et de l’émergence de la « raison ». C’est sans aucun doute cette dernière qui va accoucher de la « rationalité » dont une partie des penseurs des Lumières feront le fer de lance d’une nouvelle philosophie pratique ; laissant par ailleurs aux philosophes le soin de jouer avec cette notion finalement peu claire car inapplicable au réel - la raison (ZOUBOULAKIS, 2005). Ainsi, économistes et sociologues se lanceront plus tard tous azimuts dans une tentative de compréhension de l’action humaine par le prisme de la rationalité. L’hypothèse est ainsi née, prématurément il ne fait aucune doute, car accouchée de la volonté de se défaire du joug intellectuel que la religion avait fait peser sur la société jusque là.

 

Cependant ce paradigme explicatif est aujourd’hui dans une impasse intellectuelle mais jouit cependant d’un règne quasi inégalé. En effet, la société contemporaine se fonde aujourd’hui largement sur l’hypothèse selon laquelle l’homme agit en permanence de manière rationnelle. L’homme est un homo oeconomicus, il maximise son propre bien être matériel et financier de manière efficiente, minimisant les coûts et maximisant les gains, en fonction de l’information dont il dispose. Il justifie par ailleurs ce comportement imbu de la certitude qu’énoncera Adam Smith (1776) : « La somme des recherches des intérêts individuels maximise le bien être collectif ». Les répercussions dans les consciences collectives de cette sentence n’aura plus d’égale que son incompréhension et son perpétuel détournement (PREVOST, 2001).

 

Or dès le début du 20ème siècle, cette théorie commence à se fissurer. En effet, on comprend  que toute une série de comportements humains dérogent à la logique de rationalité comme l’aura défini la science économique et que, dès lors, le modèle explicatif/prédictif classique n’est plus valide (KAHNEMAN, 1974, & 2011). Cependant, loin d’inscrire la réflexion économique dans une dynamique nouvelle, celle-ci va s’entêter à valider coûte que coûte ce modèle théorique parfois au risque de verser dans le dogmatique (FULLBROOK, 2005, & GROSS STEIN, 2008).

 

Tant et si bien qu’aujourd’hui, il est comme une vérité non-écrite ou trop écrite, que de penser que la recherche de son intérêt particulier prime (car socialement plus efficace) sur toute forme de coopération. Cette assertion est non seulement fausse mais son pouvoir normatif tend à avoir des conséquences catastrophiques sur le corps social et la créativité collective de celui-ci (COHEN, 2012). En effet, les recherches initiées suite aux travaux de l’ethnologue Marcel Mauss (1924) tendent à montrer que la dynamique compétition/coopération apparaît répondre à une logique plus complexe. En effet l’homme semble pouvoir répondre, au moins autant, à une logique de don dans son rapport à autrui qu’à une logique marchande où il chercherait à n’optimiser que son bien être personnel. L’opposition brutale de ces deux concepts apparaît du reste sans cesse plus vide de sens à la lumière des dernières recherches en la matière. La psychologie notamment, permet avec de plus en plus de précision de rendre compte de la complexité de l’action humaine et notamment de la replacer dans un continuum entre coopération et compétition. En effet, pourquoi l’homme devrait-il agir selon un mode agoniste ou participatif, sans que ces derniers ne s’entremêlent de manière logique pour former une synthèse de l’action.

 

Comment alors rendre compte de cette réunion, ou devrions nous dire de cette union ? Comment l’observer empiriquement ? Homo oeconomicus, homo donator ? Quelles différences individuelles dans les conduites pro-sociales ?

 

Nous proposons ici de répondre à ces problématiques en présentant une étude qui tentera de mettre en évidence le fait que la rationalité individuelle répond d’une part à des logiques de norme sociale et d’autre part varie selon des caractéristiques individuelles. Nous verrons étudierons dans un premier temps l’influence d’une norme informationnelle sur le taux de coopération de différents groupes d’individus. Par ailleurs nous mettrons en évidence les relations qu’entretiennent les personnalités individuelles avec le taux de coopération observé au cours de l’expérience.

 

 

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Présentation de l'Etude

 

Participants

 

Notre expérience porte sur 40 sujets issus de milieu socio-professionnels bien distincts. 20 d’entre eux sont en effet des cadres supérieurs occupant des postes à responsabilité. Parmi ces 20 sujets, 11 sont des hommes et 9 des femmes. Leur participation au jeu a eu lieu au cours de l’année 2013 lors de diverses occasions. A cet égard, notons qu’il n’a pas été possible de réunir les 20 sujets du premier groupe au même moment et donc que la collecte des résultats s’est faite de manière plus épisodique.

 

Les 20 autres sujets sont des ouvriers textiles. 16 d’entre eux sont des femmes et 4 des hommes. Leur participation au jeu a eu lieu au cours du mois de mai 2013 en région Lyonnaise, sur le site de production d’une grande marque de lingerie1. A cet égard, nous remercions tout particulièrement monsieur Prost pour nous avoir ouvert l’accès à ses ateliers.

 

Description de la procédure

 

L’étude a été menée en 3 phases. Dans un premier temps les participants on été informé par écrit du jeu auquel ils allaient devoir se prêter par des simples textes (Cf. : annexe 1). Comme on peut le constater lors de la lecture de ces textes, aucun vocabulaire susceptible d’être interprété par le participant dans son processus de décision n’a été utilisé. En effet, nous avons veillé à contrôler que seul le titre de la fiche descriptive soit à même d’influencer les joueurs. Ainsi nous avons remplacé tout le champ lexical de la coopération et du combat par un vocabulaire plus neutre. (Par exemple aux termes « adversaire » et « duel » ont été préféré les mots «autre joueur» et «manche »).

 

 

 

 

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